[Fabien Gagnon / Flickr]
L’ACPPU s’inquiète qu’une entreprise ait obtenu une ordonnance d’une Cour supérieure exigeant qu’une chercheuse
de l’Université du Québec à Montréal enfreigne les règles
de confidentialité en révélant le nom des participants à sa
recherche.
Une décision du juge Marc Saint-Pierre de la Cour supérieure
du Québec rendue en janvier dernier a en effet ordonné à la professeure Marie-Ève Maillé de transmettre à l’entreprise
Éoliennes de l’Érable le nom des participants qu’elle a interrogés dans le cadre d’une étude sur les effets du développement d’un parc éolien dans la région d’Arthabaska. Éoliennes de l’Érable avait déposé une motion pour obliger la professeure Maillé à révéler le nom des participants à sa recherche
à la suite du dépôt d’un recours collectif à son endroit au nom de résidents de cette communauté.
« Les chercheurs et les universitaires de tout le pays sont
extrêmement inquiets des conséquences de cette décision
de la Cour supérieure du Québec, dit le directeur général de l’ACPPU, David Robinson. La protection de la confidentialité des participants aux travaux de recherche est une obligation éthique et professionnelle. »
M. Robinson souligne qu’en 2014, une décision de la Cour supérieure du Québec (Parent c. R., 2014 QCCS 132) avait mis fin aux procédures de saisie de dossiers de recherche confidentiels à l’endroit de deux professeurs de l’Université d’Ottawa. La juge Sophie Bourque avait empêché le Service de
police de la Ville de Montréal d’avoir accès aux enregistrements d’entrevues avec des participants à une étude, ce qui avait confirmé pour la première fois le droit des chercheurs
de protéger l’information confidentielle nécessaire à leur
travail académique.
« Le principe fondamental du secret professionnel entre
un chercheur et un participant est en jeu ici, signale David
Robinson. Tout comme nous reconnaissons que les journalistes ont le droit de protéger leurs sources dans l’intérêt
public, il doit y avoir une reconnaissance semblable pour les chercheurs académiques. Si nous ne pouvons garantir la confidentialité, on musellera un pan important de la recherche académique. »
M. Robinson ajoute que l’UQAM doit tout faire en son pouvoir pour épauler la professeure Maillé en contestant cette
ordonnance du tribunal.
De son côté, la chercheuse espère bien sûr que son université va l’aider à se défendre, mais elle déplore le fait que les médias aient surtout insisté sur les hésitations de l’administration plutôt que sur l’essence du problème. « L’enjeu réel, c’est qu’une compagnie privée a été autorisée par un tribunal à obtenir l’accès à des données confidentielles de recherche », souligne Mme Maillé.
« Je suis chanceuse, j’ai un bon avocat. J’ai la chance que
mon dossier ait été accepté par Pro Bono Québec qui est un organisme qui accepte de représenter des gens qui n’ont pas accès à l’aide juridique. Sans cela, les frais juridiques engagés depuis avril seraient très élevés », raconte-t-elle.
Avec l’aide de son avocat, elle a ainsi introduit une requête
en annulation de l’ordonnance, et cette démarche suit son cours. Le Fonds de recherche du Québec a déposé une requête pour intervenir au dossier et faire valoir l’intérêt supérieur de la recherche.
« J’ai offert à Éoliennes de l’Érable de leur remettre des données dénominalisées, mais les dirigeants ne sont pas intéressés,
car ils veulent des noms. Ils veulent aussi mes notes laissées dans les documents de recherche afin de pouvoir me discréditer en tant que témoin-expert et discréditer aussi les participants à ma recherche qui feraient partie du recours collectif », ajoute Mme Maillé.
La chercheuse est persuadée qu’elle saura convaincre un juge d’infirmer l’ordonnance, si son avocat a la chance de
plaider et de faire valoir ses arguments en faveur de l’importance de préserver la confidentialité de la recherche. Ce qu’elle
craint cependant, c’est qu’une entente hors cours intervienne entre l’entreprise et les participants au recours collectif. Le procès est fixé au printemps 2017 et une entente mettrait fin aux procédures pour faire casser l’ordonnance.
« Il se pourrait au bout du compte qu’on ne puisse pas faire
annuler l’ordonnance, ce qui serait fort contrariant. Ce jugement crée un dangereux précédent », indique-t-elle.