[iStock.com / josefkubes]
Des universités sont attaquées par des terroristes au Pakistan et en Afghanistan. Des érudits sont victimes d’assassinats ciblés au Bangladesh et en Syrie. Des étudiants manifestant pacifiquement sont arrêtés au Myanmar et en Thaïlande. Des étudiants et des professeurs sont emprisonnés en grand nombre en Égypte. Des professionnels de l’enseignement supérieur turcs ont été congédiés par milliers après le coup d’État raté du 15 juillet.
Nous ignorons l’étendue réelle de la répression qui frappe la liberté académique depuis quelques années dans le monde entier, et pouvons difficilement dégager des tendances. Toutefois, les incidents — surveillés et répertoriés à partir des informations relayées par les médias traditionnels et sociaux et avec l’aide de témoins oculaires — ont en commun la volonté des puissants de ce monde et de leurs agents de faire taire les libres penseurs.
« Ces attaques sont toutes le fait d’États, mais aussi de protagonistes non étatiques, voulant étouffer la dissidence, et la quête de vérité des professeurs, des chercheurs et des étudiants, dont c’est la mission dans la communauté académique et la société en général », a déclaré Daniel Munier, agent de défense des intérêts à Scholars at Risk (SAR), un organisme de protection des droits du personnel académique.
Le 31 octobre dernier, SAR publiait l’édition 2016 de son rapport Free to Think, en lien avec son projet de surveillance de la liberté académique. Le rapport analyse 158 attaques contre le personnel académique et les étudiants dans des établissements postsecondaires de 35 pays depuis mai 2015. Assassinats, disparitions, emprisonnements illégaux, expulsions, restrictions de déplacement et fermetures d’universités, la liste est variée.
« On emploie la manière douce : on annule un événement, on fait pression sur une université pour qu’elle renonce à publier un document, précise M. Munier. Ou la manière forte : on arrête, on poursuit ou on congédie des gens, on menace des personnes qui ont exprimé des opinions sur la religion, ou on use carrément de violence. Par exemple, des groupes armés ont assailli des universités à deux reprises en 2016 au Pakistan. »
Le degré de répression a longtemps été évalué à la lumière de la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur formulée par l’UNESCO en 1997, le seul document international qui définit la liberté académique et établit la norme à respecter par les gouvernements. On peut y lire que le personnel académique « a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, d’expression, de réunion et d’association, ainsi qu’à la liberté et à la sécurité de sa personne, et à la liberté de circulation » et devrait « pouvoir exercer [ses] fonctions sans subir de discrimination d’aucune sorte ni avoir à craindre de mesures restrictives ou répressives de la part de l’État ou de toute autre source ».
Ce n’est souvent pas le cas. La répression a bien des visages. « La liberté académique est réprimée énergiquement dans certains pays, où règnent habituellement la censure et la violence », a soutenu David Robinson, directeur général de l’ACPPU et conseiller auprès de l’Internationale de l’Éducation, qui tient un compte en ligne des violations commises dans le monde entier grâce à son Baromètre sur les droits humains et syndicaux.
Pensons, ajoute-t-il, « à l’attentat terroriste contre l’Université Garissa au Kenya en 2015; au ciblage d’écoles en Israël et en Palestine; à la répression subie par des universitaires comme le Colombien Miguel Beltrán, faussement accusé d’entretenir des liens avec des terroristes; aux problèmes systémiques en Russie, en Iran, en Arabie saoudite et en Afrique subsaharienne, entre autres, où la liberté académique n’est pas respectée ».
La situation est-elle pire aujourd’hui? Personne ne peut le dire avec certitude, mais les incidents semblent se multiplier. Pour M. Munier, cette impression tient en partie au renforcement de la surveillance par rapport à la dernière décennie. Son organisme recueille des données dans les médias depuis 2011 seulement; il tente aujourd’hui d’obtenir plus de signalements de première main pour élargir le champ de son enquête.
« À l’échelle mondiale, il est difficile de dire s’il y a plus d’incidents qu’avant, soutient-il. Mais, pays par pays, on voit des cas où, à l’exemple de la Turquie, des milliers d’universitaires ont été suspendus, congédiés, pris dans une rafle et emprisonnés, et évincés de leur logement social. On leur a dit qu’ils étaient exclus à jamais de la fonction publique et on a révoqué leur passeport. C’est du jamais vu. »
La situation est différente dans les pays membres de l’OCDE, comme le Canada et les États-Unis. « Ici, la liberté académique est davantage menacée par des réalités structurelles, comme la précarisation du travail. Pour les contractuels sans possibilité de permanence, la liberté académique est souvent un concept théorique », soutient M. Robinson.
Le reste du monde pratique la répression plus ouvertement. « Encore aujourd’hui, les universitaires dans des endroits comme la Turquie, la Colombie et l’Iran courent un grand danger, déclare M. Robinson. Nous devons maintenir une étroite surveillance et intervenir au besoin pour faire respecter la liberté académique. C’est une lutte sans fin. »