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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

février 2017

L’équité, une fois pour toutes

Equity once & for all
iStock.com / RapidEye


À l’Université York, l’association du personnel académique a décidé de passer à l’action pour faire avancer l’équité en en faisant une priorité à la table de négociation. Ce faisant, le syndicat a réussi à obtenir des mesures qui pourraient changer pour de vrai le visage de leur établissement

Lors de la dernière ronde de négociation, l’association a ainsi réussi à négocier l’engagement de leur employeur d’atteindre un taux de représentation de 20 % des minorités visibles parmi le personnel académique. L’équipe de négociation a également réussi à faire reconnaître les LGBTAB-S comme un groupe sous-représenté et à garantir l’embauche durant la durée de la convention collective d’au moins quatre universitaires autochtones.

« Il est encore trop tôt pour voir les impacts réels de nos gains car nous en sommes à la première ronde d’embauches dans la mise en œuvre de notre entente, mais nous avons bon espoir. Et cela démontre ce que l’on peut accomplir quand on fait de l’équité une priorité à la table de négociation », explique la professeure Sheila Embleton, qui faisait partie de l’équipe de négociation syndicale.

« Je suis fière de nos gains, mais en même temps je me demande pourquoi c’est notre association qui a dû prendre l’initiative pour négocier des mesures favorisant l’équité, ajoute Mme Embleton. Pourquoi l’employeur n’a pas pris l’initiative? Pourquoi, par exemple, l’administration n’a pas suggéré elle-même des propositions découlant des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation? Il a fallu que le syndicat veille au grain. »

Grâce au travail des équipes de négociations des associations académiques, l’équité a fait un bon bout de chemin depuis une décennie dans le monde universitaire. À l’image de York, des associations académiques ont décidé de mettre l’équité à leur programme de négociation et sont parvenues à obtenir des gains pour les femmes, les autochtones, la communauté LGBTAB-S et les personnes ayant une limitation fonctionnelle.

En 2013, l’association du personnel académique de l’Université Simon-Fraser a réussi à convaincre l’administration de faire une vérification de la conformité à l’équité en matière d’emploi. Rendus publics en 2015, les résultats de cet audit ont permis la mise en place d’un comité mixte qui a analysé les données démontrant d’importants écarts salariaux entre les hommes et les femmes et qui a émis des recommandations visant à régler le problème.

Au final, les professeures permanentes ou sur la voie de la permanence ont obtenu une augmentation de salaire de 1,7 % en date du 3 septembre 2016 et l’Université a mis sur pied un fonds de 4,8 millions de dollars pour corriger, à l’aide du versement de montants forfaitaires, l’écart salarial dont ont été victimes les femmes dans les différents départements.

Les gains sont également venus d’ailleurs. En 2016, l’Université de Victoria est ainsi devenue un leader mondial en études transgenres en établissant une chaire de recherches en études transgenres. « L’équité n’est pas quelque chose qui se produit d’elle-même. Il faut une approche multiple menée par plusieurs groupes qui travaillent ensemble pour atteindre cet objectif », explique le titulaire de la chaire et professeur de sociologie Aaron Devor.

M. Devor ajoute que cette approche collective est la clé, puis que les membres de chaque groupe, à titre individuel, ont chacun et chacune leurs raisons personnelles de voir les choses changer. « L’équité commence quand tout le monde décide que c’est important et fait un effort pour apprendre et comprendre la réalité que vivent les gens qui sont différents de nous, et je parle ici autant de la réalité de ceux qui sont désavantagés que celle de gens qui sont plus privilégiés que nous », signale M. Devor.

En rencontre avec la ministre des Sciences Kirsty Duncan, l’ACPPU a insisté sur l’importance d’avoir des données précises sur la composition du corps professoral qui permettront de mieux identifier les problèmes d’équité et de s’y attaquer. En ce sens, le rétablissement de l’enquête sur le personnel aca-démique a été un premier pas. Au cours des derniers mois, la ministre Duncan a promis de s’attaquer également à l’équité dans les programmes de recherches fédéraux dont le Programme des chaires de recherche du Canada.

Dans un mémoire déposé en septembre dans le cadre de l’examen du soutien du gouvernement fédéral à la science fondamentale, l’ACPPU a ainsi demandé que les programmes de recherche fondamentale soient inclusifs et reflètent la diversité de la communauté de chercheurs du Canada. Comme l’a fait valoir l’ACPPU dans son mémoire présenté dans le cadre de l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale : « Les programmes de recherche fédéraux devraient être soumis à une évaluation des répercussions sur le genre et l’équité. En particulier, le Programme des chaires de recherche du Canada et le Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada devraient être examinés de près pour vérifier que les établissements d’enseignement fixent, et atteignent, des cibles en matière de genre et d’équité. »

Les deux programmes de chaires de recherche ont été sévèrement critiqués pour leurs déficiences en matière d’équité. En 2003, l’ACPPU a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne au nom d’un groupe de femmes professeures à l’endroit du Programme de chaires de recherche du Canada. Et même si une entente est intervenue obligeant le programme fédéral à établir des cibles et à mesurer l’atteinte de ces cibles, la cause a été récemment rouverte quand il a été révélé que les cibles n’avaient pas été mises à jour.

Selon le directeur général de l’ACPPU, David Robinson, le manque de données fiables et détaillées sur l’équité est une frustration constante. « Les problèmes d’équité au sein du corps professoral sont largement reconnus. Ce que nous ignorons, c’est l’ampleur précise de ces problèmes et si nous réalisons des progrès pour les régler. »

M. Devor abonde dans le même sens. « Si on ne peut pas mesurer quelque chose, on ne peut pas mesurer non plus le changement. Il existe, par exemple, très peu de données sur les transgenres et les personnes dont l’identité sexuelle est floue. La présomption commune est qu’il y a une quantité infinitésimale de trans. Des données récentes suggèrent qu’une personne sur 200 (0,5 %) dans la population urbaine est trans ou ayant une variance de genre. Or une recherche plus approfondie nous permettra d’obtenir de meilleures données et ainsi d’établir de meilleures politiques et pratiques. »

« Il faut également sensibiliser nos membres aux questions d’équité, mais aussi proposer des gestes concrets pour favoriser l’équité sur nos campus », explique le coprésident du Comité de l’équité de l’ACPPU, Wesley Crichlow.

Il raconte que les membres des groupes luttant pour l’équité sont confrontés à de nombreux défis dans les universités. Il peut s’agir des multiples demandes pour faire partie de comités jusqu’au fait de devoir composer avec certains commentaires à leur égard d’apparence anodins, mais blessants. « Travailler sur les questions d’équité peut être émotionnellement, mentalement et physiquement exténuant quand on se sent seul dans le bateau. De là l’importance d’ouvrir le dialogue, de trouver des intersections où les idées se rencontrent et de former des alliances qui seront constructives », insiste M. Crichlow.

Les associations académiques et les syndicats doivent également faire de l’équité un enjeu à la table de négociation tout en remettant en question les politiques institutionnelles et les pratiques qui perpétuent l’iniquité. « Nous devons être vigilants. La prolifération des évaluations des étudiants est un bon exemple. Des études ont prouvé notamment que ces évaluations désavantagent systématiquement les femmes, les LGBTAB-S et les communautés racialisées », conclut M. Crichlow.