Le 20 janvier 2017, Donald J. Trump est devenu le 45e président des États-Unis. La nomination controversée de Betsy DeVos au poste de secrétaire à l’Éducation a été confirmée par le Sénat grâce au vice-président, Mike Pence, dont le vote a fait pencher la balance en sa faveur. C’était la première fois de l’histoire des États-Unis qu’un vice-président intervenait ainsi pour favoriser un membre du cabinet. Le Bulletin s’entretient avec Julie Schmid, directrice générale de l’American Association of University Professors (AAUP), sur les enjeux de cette présidence.
L’élection de Trump vous a-t-elle surprise?
Pas vraiment. Depuis un certain temps déjà, les observateurs de la politique américaine avaient décelé les signes avant-coureurs d’une vague républicaine dans les États, de sorte que je n’ai pas été surprise de voir cette vague déferler au niveau fédéral. Nous ne pouvions prédire l’élection de Trump, mais nous sentions que des questions comme l’appui aux syndicats, le rôle de l’éducation publique à tous les niveaux, celui des autres services publics, etc., étaient toutes en jeu. Tout ce qui constituait jus-qu’à présent les fondements de la société américaine est maintenant à risque.
Quels en sont les effets sur le secteur de l’éducation postsecondaire?
Pendant la campagne électorale, et après, nous avons constaté une augmentation des menaces de mort, de violence, à l’endroit de professeurs et la multiplication de listes noires comme « Professor Watchlist », laquelle a ouvertement pour mission de dénoncer, avec des cas précis à l’appui, les professeurs de collège qui exercent une discrimination à l’égard des étudiants conservateurs et font la promotion d’une propagande de gauche dans la salle de classe. Les professeurs spécialisés dans des domaines comme les études de genre sont plus particulièrement la cible de trollage et de
menaces. Certains étudiants vont même jusqu’à enregistrer les exposés et à les publier en ligne, habituellement sans contexte. Tout comme à l’époque de McCarthy, des professeurs s’autocensurent.
Betsy DeVos est une milliardaire sans expérience professionnelle dans l’enseignement public. Ses détracteurs lui reprochent de n’avoir aucune compétence pour diriger le départe-ment de l’Éducation. Quelles sont les préoccupations de l’AAUP à son endroit?
Sa nomination nous préoccupe à bien des égards. Parlant récemment de l’enseignement supérieur, elle s’est exprimée comme si les professeurs, des auxiliaires au doyen, étaient « l’ennemi ». Ils vous disent quoi faire et quoi penser. Ils vous font taire si vous avez voté pour Donald Trump, et tentent de nier vos droits garantis par le Premier amendement. Elle fait écho à Trump lorsque celui-ci qualifie les médias d’ennemis du peuple. Plus qu’une attaque contre le corps professoral et l’enseignement postsecondaire, c’est une attaque contre la libre circulation et le libre partage des idées, la vérité et les faits scientifiques, et cela représente une réelle menace pour l’accès des générations futures à l’éducation postsecondaire pour le bien commun.
Face à ces préoccupations, que fait l’AAUP?
Nous avons organisé une campagne sur Internet pour contrer la « Professor Watchlist ». Nous avons invité les professeurs et tous ceux qui nous appuient à faire ajouter leur nom à la liste, pour protéger les quelque 2 000 professeurs ciblés. Plus de 12 000 personnes se sont inscrites, par solidarité. Par ailleurs, lors de l’entrée en vigueur du premier décret migratoire, nous avons demandé aux gens de nous décrire ses conséquences sur eux-mêmes et sur leur communauté académique. Nous recueillons donc des informations et menons des actions ciblées là où l’AAUP peut être la plus efficace.
Quels événements apparentés observez-vous dans les États?
Des tentatives ont lieu dans les assemblées législatives pour réduire les frais de représentation imposés aux non-syndiqués par les syndicats ou pour empêcher les syndicats de représenter leurs membres et de s’exprimer librement sur les enjeux. Un certain nombre d’États ont présenté des projets de loi visant l’élimination de la permanence, mais sans réussir à les faire adopter. C’est maintenant au tour d’assemblées législatives dominées par les républicains, comme en Caroline du Nord et en Iowa, de présenter des projets de loi prônant comme condition d’embauche fondamentale d’un candidat à un poste de professeur d’université que ce dernier dévoile son affiliation politique et son historique de vote. L’objectif : éviter que le corps professoral d’une université soit trop d’obédience libérale.
Quelle est la prochaine étape pour l’AAUP?
Nous poursuivons notre engagement auprès de nos sections dans les États et sur les campus. Une victoire nous a fait vraiment plaisir : au New Hampshire, deux projets de loi, un sur le retour au travail et l’autre sur l’interdiction de déduire les cotisations syndicales de la paie, ont mordu la poussière. Nos membres ont fait du lobbying aux côtés de syndicats et d’autres opposants pour battre ces initiatives. Ils se sont présentés à l’assemblée législative en pleine tempête de neige, ont mené des campagnes postales et téléphoniques et ont même convaincu quelques républicains de changer de camp, faisant ainsi échec aux propositions.