En 2014, un régime d’austérité à l’Université Capilano a semé l’ire sur le campus. Étudiants et professeurs ont manifesté leur mécontentement contre les coupes imposées par l’administration. George Rammel, un professeur de sculpture, était du lot et il a décidé de démontrer son opposition en fabriquant un œuvre satirique à l’effigie de la rectrice Kris Bulcroft, baptisée Blathering on in Krisendom. Le professeur a exposé sa sculpture dans des rencontres et manifestations sur le campus et les agents de sécurité du campus ont reçu ordre de saisir et détruire la sculpture sous prétexte que l’objet constituait une forme de harcèlement envers la rectrice.
Les événements qui ont eu lieu à Capilano illustrent bien les préoccupations concernant les menaces sur la liberté d’expression et la liberté académique de la prolifération de codes de civilité et de règlements encadrant le respect en milieu de travail dans les collèges et les universités.
« En apparence, ces politiques peuvent sembler anodines. Il est difficile de voir d’un mauvais œil le but commun d’avoir des relations civiles et respectueuses au travail, souligne le directeur général de l’ACPPU, David Robinson. Le problème est que, quand on enchâsse ces valeurs dans des politiques vagues pour contrôler la liberté de parole et les comportements, on met en danger la liberté d’expression et la liberté académique. »
Le cas de l’Université Brock illustre bien ses propos. En 2011, des membres du personnel académique et des étudiants diplômés ont critiqué l’implication de leur établissement public et séculaire dans un programme outre-mer affilié à l’Église catholique. Ces critiques publiques et répétées ont mené les aumôniers catholiques de Brock à porter plainte contre leurs collègues en vertu de la politique de l’établissement encadrant le respect en milieu de travail.
« Dans notre cas, cette politique a clairement été utilisée pour nous faire taire. Mais nous nous sommes battus pour protéger notre liberté académique, car nous avions le droit de poser des questions légitimes sur ce programme », raconte Ana Isla, professeure de sociologie à l’Université Brock.
Au final, elle et ses collègues Cathy Van Ingen et June Corman ont été blanchies sur toute la ligne. Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a tranché en faveur de Mme Isla, l’ACPPU a produit un rapport d’enquête accablant confirmant que leur liberté académique avait été brimée et les syndiqués ont remporté deux arbitrages.
« Je n’ai aucun regret, signale Mme Isla. La décision de nous lever pour critiquer ce programme était la bonne. Cela dit, le programme est toujours là et le Concordat entre l’Université Brock et l’Église catholique est toujours en place. »
Quand on demande à l’ancien directeur général de l’ACPPU et professeur à l’Université Ryerson, James Turk, ce qu’il pense de la prolifération de politiques de respect en milieu de travail, il est sans équivoque : « Il s’agit de l’une des plus importantes menaces à la liberté académique sur nos campus.»
Pour lui, les universités et les collèges ont l’obligation légale de s’assurer que leurs campus sont exempts de discrimination et de harcèlement, mais les politiques de respect en milieu de travail et les codes de civilité vont beaucoup trop loin. « Ces politiques donnent le droit à l’administration d’enquêter et de punir des choses qui ne sont ni du harcèlement ni de la discrimination. Tout le monde a le droit de ne pas être discriminé ou harcelé, mais personne n’a le droit intrinsèque d’éviter de se faire offenser. Si je passe dans le corridor sans vous saluer, vous pourriez être offensé alors que je ne vous ai tout simplement pas vu », insiste M. Turk.
David Robinson croit que les cas à Capilano et Brock sont probants. Dans les deux établissements, des professeurs ont été la cible de plaintes pour avoir soi-disant manqué de respect alors qu’ils n’ont fait qu’exprimer leur désaccord par rapport à une décision de l’administration.
Il croit que les associations du personnel académique devraient s’opposer à l’inclusion de politiques encadrant le respect en milieu de travail ou la civilité dans leurs contrats de travail. « Même la décision d’inclure des clauses portant sur la civilité ou le respect ou faisant référence à une politique adoptée par l’employeur veut dire qu’on accepte de telles politiques et cela constitue une entrave à la primauté de la liberté académique », insiste M. Robinson.
Les politiques sur le respect en milieu de travail et la civilité établissent un nombre très large de comportements inacceptables, mais qui ne sont pas tous à placer sur la même échelle et qui ne sont pas tous interprétés de la même façon, argumente M. Turk. Selon lui, c’est cet aspect arbitraire qui fait que ces politiques sont impossibles à appliquer de façon neutre et c’est aussi cet aspect arbitraire qui donne à l’administration la latitude de poursuivre n’importe qui.
« Dans mon cas, cela n’a pas affecté ma carrière, mais si l’association du personnel académique de l’Université Brock et l’ACPPU ne s’en étaient pas mêlées, l’histoire aurait sans doute mal tourné », croit Mme Isla. Elle souligne que les résultats ont réconforté tous ceux qui se battent pour la liberté académique. « Mais c’est une bataille qui n’est jamais gagnée. Ces politiques visent à faire peur et à inciter les gens qui ont des critiques légitimes à demeurer silencieux parce qu’ils craignent de devoir faire face à des mesures disciplinaires s’ils donnent leur opinion. »