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« Conditions de travail dans les campus à l’étranger »

Le rapport qui suit est publié conjointement par l’American Association of University Professors et l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. Sa parution a été autorisée en avril 2009 par le Comité A de la liberté académique et de la permanence de l’emploi de l’AAUP ainsi que par le Comité de direction de l’ACPPU. Si vous avez des remarques, merci de vous adresser à l’AUUP à academicfreedom@aaup.org ou à l’ACPPU à acppu@caut.ca.

Les collèges et universités des États-Unis et du Canada ont sérieusement multiplié leurs opérations à l’étranger au cours des dernières années. Les campus-succursales et les programmes menant à l’obtention d’un diplôme à l’étranger ont proliféré. De même, la vente outre-mer de matériel didactique et pédagogique, le franchisage des universités, l’apprentissage en ligne ou à distance, le recrutement d’étudiants étrangers et les programmes d’études à l’étranger ont connu un essor.

L’élargissement de l’offre dans l’enseignement supérieur est un des aspects appréciés de la mondialisation. Il n’est pas étonnant que ces initiatives internationales suscitent l’intérêt aussi bien des investisseurs privés que des collèges et universités. Les défenseurs de l’investissement provenant du secteur privé ont maintenant pris l’habitude d’évoquer le potentiel financier colossal du marché international dans le domaine des services d’éducation; et les efforts pour élargir l’accès à ce marché lucratif se traduisent par des négociations et des accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux. Ce faisant, la mondialisation plus que tout autre moyen, a permis de privatiser et de commercialiser l’éducation supérieure.

Au nom de la libéralisation du commerce et selon l’Accord général sur le commerce des services de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les pays occupant une position de chef de file dans le domaine de l’éducation à l’échelle internationale ont cherché à harmoniser les normes mondiales pour offrir des services d’enseignement supérieur. D’après les principes de libre-échange de l’OMC, les services d’enseignement sont une marchandise comme une autre, et les fournisseurs étrangers devraient bénéficier des mêmes privilèges et avantages que les institutions nationales ou tout autre état membre.  Plusieurs organismes internationaux intervenant dans le domaine de l’éducation supérieure se sont élevés contre ces principes :

• La « Déclaration commune sur l’enseignement supérieur et l’Accord général de commerce des services » de 2001, publiée par quatre organismes académiques phares situés aux États-Unis, au Canada et en Europe (le Conseil américain de l’éducation, le Conseil pour l’accréditation de l’enseignement supérieur, l’Association des universités et collèges du Canada et l’Association Européenne de l’Université).
• La Déclaration de Porto Alegre de 2002, ratifiée par les principales associations d’enseignement supérieur d’Amérique Latine et d’Espagne.
• Les résolutions adoptées par l’Internationale de l’éducation (constituée de 394 fédérations nationales d’enseignants et de professeurs de 171 pays, ce qui représente 30 millions d’enseignants, de professeurs et d’autres membres du personnel enseignant) lors de sa Conférence mondiale tenue à Jomtien en Thaïlande en 2001 et de son Congrès mondial qui a eu lieu à Porto Alegre en 2004.

Ces déclarations et ces résolutions reconnaissent que la libéralisation du commerce risque de fragiliser l’engagement du gouvernement en faveur de l’enseignement supérieur de même que les crédits qu’il consacre à ce chapitre. Elles établissent également que l’éducation n’est pas un produit et que sa dépendance vis-à-vis de l’État (souvent exclusive dans de nombreux pays) fait de lui un service à part.

La vitesse à laquelle se développe ce phénomène sur le plan international risque d’avoir une incidence sur la nature même de l’enseignement supérieur aux États-Unis et au Canada. En témoigne à lui seul le nombre croissant de professeurs engagés à l’étranger la plupart aux termes de contrats à durée déterminée, donc à titre précaire. Comme les programmes d’études et les établissements d’enseignement à l’étranger coûtent généralement moins cher, les collèges et les universités risquent de prendre des décisions favorisant le développement de ceux-ci au lieu de leurs équivalents américains et canadiens offrant des postes menant à la permanence. Si cette tendance se maintient, on assistera à une précarisation du travail du personnel académique, ce qui nuira à la qualité de l’enseignement et aux droits des professeurs.

En outre, alors que la présence des États-Unis et du Canada augmente au sein des établissements d’enseignement supérieur de pays sous un régime autoritaire, les principes de base de la liberté académique, de la gouvernance collégiale,  et de la non-discrimination sont de moins en moins respectés. Dans un environnement étranger où la liberté d’expression est limitée, voire interdite, le corps professoral aura tendance à s’autocensurer, et l’enseignement d’une véritable culture générale, si cela est possible dans de tels cas, en subira les revers.

Par conséquent, il est indispensable que toutes les initiatives internationales prises par des collèges ou universités nord-américains respectent les Recommandations de l’UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur, en mettant l’accent sur la liberté académique, l’autonomie des établissements, la gouvernance collégiale, la non-discrimination et la sécurité de l’emploi.

La gestion des employés qui ne font pas partie du personnel enseignant mais qui sont responsables des travaux, de l’administration et de l’entretien des campus étrangers pose un autre problème. Les collèges et universités, tout comme n’importe quel employeur ou patron, devraient respecter à la lettre les normes reconnues à l’échelle internationale régissant les droits et les conditions de travail des employés non académiques qui construisent et entretiennent les salles de classe et les bureaux et sont aussi indispensables au bon fonctionnement de l’établissement. Les universités œuvrant à l’échelle internationale devraient adopter un code de conduite réglementant les conditions de travail et les droits de tous les employés non académiques, même et surtout si ces travailleurs sont employés directement par un sous-traitant de la région.
          
L’enseignement n’est pas un produit que l’on peut acheter ou vendre à la bourse, assujetti aux lois de la concurrence qui régissent un marché mondial déréglementé. Il est possible de prendre part à l’enseignement sur le plan international en poursuivant un but éducationnel honorable. Mais ce but sera compromis si les valeurs et les droits durement obtenus sont remis en question plutôt qu’exportés.

En bref, l’AAUP et l’ACPPU enjoignent tous les collèges et universités d’Amérique du Nord engagés dans un programme d’échange international en partenariat, ou faisant usage du nom de l’établissement, de respecter les clauses des Recommandations de l’UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur. Concernant les employés non académiques, nous souhaitons que chaque établissement, et ses sous-traitants, adoptent un code d’éthique en accord avec les critères de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

D’après les principes de la gouvernance collégiale, les collèges et universités nord-américains sont tenus d’informer les associations académiques, les représentants du personnel, ainsi que les hautes instances académiques de toute action envisagée à l’international. Si le projet prend forme, l’administration se doit de fournir des mises à jour régulières concernant l’ensemble du projet et plus particulièrement les dispositions relatives à la liberté académique, à la titularisation et à la gouvernance collégiale. Ce qui comprend également l’adoption des programmes et des cursus académiques et leurs évaluations régulières, l’affectation et l’évaluation du personnel enseignant, la charge de travail, les conditions de travail et les indemnités prévues, les dispositions contre le harcèlement et la discrimination, la propriété intellectuelle, l’hygiène et la sécurité au travail, l’équité et le droit d’entamer des procédures légales qui soient justes et conformes.  

Les établissements canadiens et américains devront porter une attention particulière au respect de ces engagements. L’AAUP et l’ACPPU, qui sont très attachées aux traditions de liberté académique et de gouvernance partagée, ont clairement statué que les représentants académiques devront être partie prenante de l’élaboration et de la vérification des projets visant à instaurer des programmes satellites et des campus succursales. Les projets visant l’élaboration de nouveaux cursus et l’embauche de personnel devront être soumis à l’approbation de l’université. Les indemnités et les conditions de travail, ainsi que les recours en cas de contentieux pour les universités basées aux États-Unis et au Canada, feront l’objet de discussions officielles sur de nombreux campus par l’intermédiaire de la négociation collective. Selon le statut de la loi dans les pays d’accueil, des négociations bilatérales pourraient s’avérer nécessaires afin de s’assurer que l’université étrangère et son personnel bénéficient de conditions de travail équitables. L’université locale devra par la suite examiner de près les dispositions afin de veiller au respect de ces conditions.

Les sections locales de l’AAUP et les associations membres de l’ACPPU ont un rôle clé à jouer dans la mise en application de ces conditions au sein de leurs établissements. L’AAUP et l’ACPPU se tiennent à la disposition de leurs membres et plus généralement de la communauté de l’enseignement supérieur pour mener à bien cette tâche.